L’art, le blues et la chance

Peter Bácsay est un artiste-peintre d’origine hongroise domicilié en Suisse depuis 1983. Passionné de blues depuis les années 60, il est aussi un membre de l’association. Avec la réalisation d’environ 60 œuvres par année, Peter est un artiste prolifique et le blues apparaît dans son travail et aussi dans son parcours de vie.

Salut Peter ! Quel est ton parcours ?

John Lee Hooker
Huile sur toile
80 x 130 cm
2014

J’ai croisé un copain à Budapest qui a dit : « nous allons à Varsovie au Jazz Jamboree, est-ce que tu as envie de venir avec nous ? » Je dis «avec plaisir» et je suis allé à Varsovie avec cette équipe. Et là, on m’a présenté la liste d’hôtels pour me trouver un lit pour dormir pendant le festival et j’ai choisi par hasard l’hôtel des étudiants pour les écoles d’art. Et là j’ai croisé un couple qui est également venu au Jazz Jamboree. Ils ont regardé mes dessins et ils ont dit « l’année prochaine, si tu amènes les dessins, on fait une expo dans la galerie des Beaux-Arts ».

Alors pendant une année, j’ai préparé des dessins et ils ont fait une exposition. Et un jour pendant le Jazz Jamboree, je suis allé voir mon expo. Il y avait un monsieur, nous nous sommes présentés. C’était le directeur de l’école et il a dit : « j’aime beaucoup ce que tu fais. Est-ce que tu as fait des études? Non ? Est-ce que tu as envie d’étudier chez nous ? » J’ai répondu : « avec plaisir ». Le tout avec mes 50 mots d’anglais !

Et ça a démarré comme ça. Je suis arrivé à Varsovie. J’ai fait mes études. A l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, des ateliers portes ouvertes étaient organisés chaque année pendant deux semaines. Et là j’ai croisé une galeriste de Martigny qui m’a acheté deux-trois tableaux pour 200 francs la pièce. Et après que j’ai obtenu mon diplôme, elle m’invite à exposer à Martigny et je suis venu. J’ai fait l’exposition et depuis je suis là.

Tu es en Suisse depuis quelle année ?

1983. Heureusement à cette époque, j’avais déjà un très bon atelier à Martigny. Que j’ai eu pour 420 francs par mois avec un petit appartement.

Est-ce qu’il y a un moment marquant dans ta carrière artistique ?

Oui. Ça a été la publication d’un article de Monique Picard dans l’Hebdo du 16 octobre 1986. Il s’agissait d’un super papier sur mon exposition à Neuchâtel et en particulier sur une œuvre «Lendemain de sainte Cène ». A partir de là, je me suis fait connaître et j’ai été invité partout. Je dois beaucoup à Mme Picard.

Dans ton œuvre, on voit qu’il y a beaucoup de personnes, souvent des musiciens. Est-ce qu’il y a un fil rouge ?

J’aime beaucoup la musique parce que je suis allé au Jazz Festival. J’ai vu Muddy Waters. Aussi John Lee Hooker à Varsovie. Fantastiques ces types-là.

Tu as une anecdote ?

Marcus Miller
Huile sur toile
90 x 90 cm
2012

Au Jazz Jamboree, il y avait toujours des jam sessions, partout à Varsovie. J’y suis allé. C’était vraiment adorable, fantastique, et vers 4 heures du matin, j’ai pris mon harmonica. Tout le monde était déjà presque tous endormis ! J’ai commencé à jouer Bye Bye Bird de Sonny Boy Williamson.

A un moment, un pianiste qui dormait sur le piano m’a regardé et a fait un accord. Toujours en restant sur le piano, il commence à m’accompagner. Et il y a un batteur qui arrive. On a joué déjà une à deux minutes et il y a un contrebassiste qui arrive. On a joué pendant 10 minutes au moins. Mais tu sais, il y avait un frisson dans toute la salle. Tout était imprévu ! Je n’ai jamais osé jouer avec les autres musiciens et à ce moment-là j’ai été accompagné avec les plus grands musiciens du monde !

C’était peut-être le signe du destin ?

C’est ma vie ! Je suis allé chaque année au Jazz Jamboree. C’était très intéressant parce que premièrement, c’était très bon marché, puis il y avait des big bands qui n’existent plus dans ce genre de manifestations aujourd’hui.

Le blues est très présent dans ton travail. Tu es toi-même un peu bluesman !

Je suis allé avec mes copains à Berlin vers la fin des années 60. On est tombé sur l’American Folk-Blues Festival. Sur place, on a acheté les billets et j’ai vu des merveilles. Là j’ai vu John Lee Hooker, j’ai vu tous ces grands musiciens de blues, habillés en costard, et depuis ce moment-là, je suis tombé amoureux à 100% de musique de blues. Et ça m’a donné l’envie d’essayer de jouer du blues.

Tu pratiques quels instruments ?

J’ai commencé l’harmonica. Et après quand je suis allé au collège, il y avait un petit groupe, les «Devils » qui cherchait un musicien. Ils ont eu besoin encore d’un guitariste et après j’ai acheté une guitare.

Le Saxophoniste
Huile sur toile
100 x 100 cm
1998

Est-ce que tu ressens la musique lorsque tu peins ?

Dans mon album, il y a les musiciens, ceux que j’ai vu jouer quelque part. Ça veut dire qu’il y avait du vécu. Il y avait ces vibrations. Il y avait une proportion humaine encore. On est ensemble toute l’équipe, on n’a même pas avoir besoin de se tenir les mains. J’ai réalisé deux tableaux de Miles Davis, tous les deux vendus. Les bons tableaux, j’en ai vendu assez vite. J’ai vendu plus de 300 tableaux déjà.

Où trouves-tu l’inspiration ?

Par exemple, j’étais dans mon atelier et cherchais des idées. J’ai regardé dans un miroir, j’ai vu ça et j’ai fait un tableau : « le penseur de rien ». Ça veut dire que mes tableaux, la plupart du temps, ce sont des choses que j’ai vécues. Ça veut dire que j’aime assez quand j’ai vu le musicien jouer. Quand j’ai eu le frisson. J’aime beaucoup faire les tableaux par rapport à la vibration que j’ai ressentie au travers de la personne, par rapport à mes sentiments.

Qu’est-ce que tu as comme projets musicaux ou artistiques ?

Depuis que tu es venu chez moi, j’ai envie de reprendre le blues tout de suite. Alors ce week-end, ce sera bluesy : je refais quelques morceaux. « Scratch My Back » est un morceau que j’aime beaucoup. Ce que j’aime assez dans le blues, c’est la légèreté, le sourire. Quand je joue en public, je ne transpire pas, je n’ai pas de trac. Je joue à ma manière. J’essaie d’être meilleur que hier et c’est tout. Je n’ai pas abandonné la musique.

Tu es autodidacte ?

Quand j’étais au collège, j’ai commencé à apprendre les accords. Dans les années 60, c’était vraiment fantastique parce qu’on a été sollicité partout, parce qu’il n’y avait que ça ! On est arrivé en même temps que tous ces grands groupes mondialement connus et on a eu le plaisir et la chance d’être dedans, partout, c’était très bien. Même le directeur du collège disait : « tant que vous n’avez pas de mauvaises notes, vous pouvez jouer. » Il a proposé d’ouvrir les portes de l’aula de l’école tous les samedis. On pouvait jouer et inviter les jeunes, qui payaient 5 francs ou moins pour rentrer. C’était un type très bien.

Thelonius Monk II
Huile sur toile
50 x 50 cm
2004

Considères-tu que ta vie a été jalonnée de chance ?

Beaucoup. Le démarrage de ma vie, c’était un petit peu plus compliqué parce que je suis orphelin depuis que j’ai eu un an et demi. J’ai vécu partout, des familles d’accueil, des orphelinats, des trucs comme ça. Mais je n’ai jamais senti aucune douleur à cause de ça. J’ai accepté les choses difficiles et je n’ai pas de mauvais souvenirs. J’ai vécu ma vie avec curiosité et c’était sympathique. Et je suis content de n’avoir jamais eu besoin de demander à quelqu’un de me prêter de l’argent ; j’ai toujours réussi à me débrouiller. Et enfin, je suis fier de pouvoir dire que je n’ai jamais frappé personne.

J’avais un démarrage assez difficile. Je ne peux pas dire tragique, mais assez difficile. Et je suis là. Je suis en train de faire ce que j’aime. La musique, j’aime en faire. Je peux réaliser des tableaux, j’ai plein de projets. J’ai encore des trucs à faire. Et tout va bien !

Dylan Karlen


A VOIR ABSOLUMENT
Sur notre chaîne Youtube, Peter Bácsay vous offre son interprétation de Rock Me Baby, rien que pour vous : https://www.youtube.com/watch?v=DRTg4WqgPqg

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