Chasseurs de son de père en fils
Quand on parle de blues, on ne pense pas forcément à la petite bourgade fribourgeoise de Belfaux. Pourtant c’est bien là, au studio Relief, que certains des albums mythiques de blues, dont ceux de Luther Allison et de son fils Bernard Allison, ont été enregistrés et mixés.
Le premier studio (aujourd’hui le studio B) est monté par Dom Torche en 1987. Avec l’association de Bernard Siffert, un deuxième studio (studio A), plus grand, voit le jours en 1996. Ce studio a été spécialement désigné par l’acousticien Andy Monro.
Donc, visite avec le patron des lieux. Depuis dehors, cette bâtisse en bois, qui est d’ailleurs un ancien moulin, ne dévoile pas ses secrets. Mais une fois dedans, surprise! Spacieux avec des plafonds de quatre mètres de haut, des fenêtres qui laissent passer la lumière du jour et la vue sur les Préalpes, c’est bien un studio comme on n’a pas l’habitude de les voir.
Comment s’est faite cette connexion avec Luther Allison ?
Dom Torche : Alors, un jour, je suis allé voir un concert de Luther Allison à Genève. Après le concert, je suis allé en backstage pour lui dire que je voulais l’enregistrer. Alors, il me dit qu’il vient d’enregistrer à Berlin. On s’est entendu, je lui mixe un titre, et si ça lui plaît, je mixe le reste. Seulement, ça a été enregistré dans un camion studio mobile avec des bandes, donc ça saturait beaucoup plus facilement si on mettait trop de niveau. L’ingénieur avait peur que ça sature; il a enregistré très bas. Seulement, quand on enregistre très bas avec des bandes, on a du souffle, donc j’ai dû me battre contre le souffle. Bref, je finis le mix et il vient écouter. C’est encore l’époque où tu venais en studio pour écouter, et il me dit, c’est super ! Finis l’album ! Il y avait aussi Michel Carras, le pianiste du groupe, qui était là.
D’ailleurs, il y a un titre qui sonne tellement bien sur cet album, pourtant Luther avait chopé une angine le soir avant l’enregistrement, il avait la voix cassée, mais c’est devenu un vraiment bon slow blues. Michel Carras, qui était aussi le producteur de Bernard Allison, a beaucoup aimé le mixage, et donc m’a proposé d’en faire un avec Bernard Allison. On a réalisé 3 ou 4 albums avec Bernard.
Le premier album de Bernard Allison a été enregistré dans le plus petit studio B. Tout le band était dans une pièce, et Bernard jouait tellement fort, que ça n’allait pas du tout : je n’entendais plus le reste. Alors, j’ai fini par mettre son ampli de guitare à la cave. Super, alors on a pu mettre à fond. A l’époque, c’était marrant : Bernard changeait beaucoup de son. Il avait déjà plein de pédales et changeait de son à chaque morceau. Je lui disais «Bernard il faut que tu travailles ton son à toi». Il me disait que Hendrix avait aussi plein de sons. Alors, c’est vrai, mais à la fin on reconnaît un musicien par son touché. Bernard, c’est un musicien extraordinaire, toujours plein d’idées.
Son deuxième album a été enregistré à Paris; je n’ai fait que le mixage. Le troisième album «funky final» est génial ! Mon collègue Bertrand Siffert, qui était en train d’enregistrer un album avec les Young Gods, me dit qu’on va faire le troisième album de Bernard. Les dates ne jouaient pas, avec les tournées et tout. Du coup, j’ai loué un autre studio à Cousset et enregistré en live, toute l’équipe, et après j’ai remixé au studio Relief.
Qu’est ce qui est important pour enregistrer un bon album de blues ?
Dom Torche : Oui, il faut faire attention aux niveaux. Des passages doux et forts, il faut suivre. Comprendre comment placer les instruments, comment la musique blues fonctionne. On ne fait pas une batterie blues comme on fait une batterie pour un album pop. Dans le blues, on essaie d’être très vrai, on essaie d’avoir des timbres qui sont le plus justes possibles par rapport au naturel de l’instrument.
Ensuite, pour le blues, c’est très important que chacun puisse se voir. Ça paraît facile de jouer un shuffle, mais ce sont la cohésion et l’émotion qui sont transmises. La basse et la grosse caisse jouent en même temps, pour être vraiment synchro, il faut le visuel. Le blues, tu vas jouer 15 fois le même morceau, mais à chaque fois tu t’exprimes différemment, tu ne vas pas produire le même solo 15 fois.
Comment s’est passée la transition à ton fils Max Torche ?
Dom Torche : Moi j’ai commencé le studio avec mon ami Bertrand Siffert en 1986. On a commencé avec 2 pièces 50 m2, et ça a commencé à bien marcher. On avait du super équipement et autour de 1992, on a commencé à trouver un peu petit, et on a visité l’endroit où on est maintenant, qui est devenu le studio A, qui est beaucoup plus grand. Et là, on a fait venir un acousticien anglais, Andy Monro, pour concevoir l’acoustique du studio. Il a changé les pièces complètement. On a tout fait d’après les règles de l’art, ce qui fait que pour l’acoustique, c’est vraiment conçu pour respecter les timbres. Pour ce qui est du blues, du classique ou du jazz, c’est très important. Quand tu viens avec un violoncelle qui t’a coûté un paquet d’argent, tu aimerais bien avoir un son de violoncelle et pas de sifflet… Depuis, on a enregistré plein de groupe dans ce studio. En 2021, est venu le temps de calmer un peu le jeu en ce qui me concerne, et voilà, mon fils Max a grandi dans le studio.
Max Torche : J’ai toujours baigné depuis tout petit dans ce monde de la musique. Je perturbais les enregistrements et je touchais les boutons qu’il ne fallait pas… Avec le temps, très naturellement, j’ai commencé à produire de la musique. Quand j’avais un problème pour lequel je ne trouvais pas de solution, j’étais bien entouré par des professionnels et je trouvais les bonnes réponses. Ce studio, c’est ma vie depuis mon enfance, et l’héritage me tient énormément à cœur, tôt ou tard je savais que j’allais reprendre le studio.
Philippe Reist
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